Dans son discours sur l’état de la nation prononcé ce 13 décembre devant le congrès, le Président Félix Tshisekedi a appelé les députés et sénateurs à réfléchir sur la possibilité de revoir la constitution sur certains sujets. Ces sujets sont : le mode de désignation des gouverneurs, le retour au second tour pour l’élection présidentielle et la question de la double nationalité. Cette révision, a précisé le Chef de l’État, ne doit pas toucher aux dispositions intangibles et verrouillées de la constitution. Nous faisons un zoom sur ces trois révisions constitutionnelles proposées par le Président Félix Tshisekedi. Cet article, le premier de la série, se penche sur le mode de désignation des gouverneurs. Que disent les textes, qu’est-ce qui motive la volonté de changement exprimée par le Chef de l’État ? Éléments de réponse dans cet article.
Devant le Parlement réuni en congrès le vendredi dernier, alors qu’il ouvrait la brèche sur la révision constitutionnelle, Félix Tshisekedi a tout de suite nuancé son propos, en affirmant que : « Nous veillerons, vous et moi, à ce que personne ne touche à des dispositions intangibles ou verrouillées ». Cette nuance revêt tout son sens, lorsqu’on se souvient qu’à l’époque de son prédécesseur, certaines tentatives de révision des dispositions intangibles ont été initiées. Il y a notamment, la pétition lancée en mars 2014 par Claude Mashala, alors secrétaire général du PPRD. À l’époque, le PPRD proposait la possibilité d’avoir plusieurs mandats présidentiels. Pourtant, le nombre et la limitation des mandats du Président de la République, font partie des dispositions intangibles de la constitution congolaise.
L'article 220 de la loi fondamentale congolaise, traite des dispositions intangibles et verrouillées. Il s’agit de : « La forme républicaine de l’État, le principe du suffrage universel, la forme représentative du Gouvernement, le nombre et la durée des mandats du Président de la République, l’indépendance du Pouvoir judiciaire, le pluralisme politique et syndical ». Le même article interdit également « toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne, ou de réduire les prérogatives des provinces et des entités territoriales décentralisées ».
Les questions du mode de désignation des gouverneurs, du nombre des tours pour l’élection présidentielle et de la double nationalité, ne figurent pas sur la liste des intangibles et verrouillées. Que disent alors les textes à ce propos ?
Le mode de désignation des gouverneurs
Les gouverneurs sont élus par les députés provinciaux pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. C’est l’article 198 de la constitution et l’article 170 de la loi électorale qui le précisent. L’effectivité des pouvoirs des gouverneurs est confirmée par une ordonnance du Président de la République. Où se situe alors le problème et pourquoi Félix Tshisekedi tient à ce que le mode ce mode de désignation soit à tout prix modifié ?
Le Chef de l’État l’a dit lui-même dans son discours, il s’observe actuellement, un « foisonnement de motions de défiance au niveau des provinces ». Dans l'espace de quelques semaines, les gouverneurs du Haut Lomami, de l'Ituri, du Sankuru et du Kongo Central ont fait l'objet des motions défiance et la liste pourrait s'allonger, lorsqu'on perçoit la pression qu'exerce certaines assemblées provinciales sur les gouverneurs, notamment au Kasaï-Oriental ou Kasaï-Central.
Pourtant, les députés provinciaux qui élisent et destituent les gouverneurs ne sont pas exempts de reproches. En février, lors des élections des sénateurs, des voix se sont levées pour dénoncer le monnayage des voix dans les assemblées provinciales. Luzolo Bambi, ancien conseiller du Président Kabila en matière de lutte contre la corruption, Vidiye Tshimanga, proche du Président Félix Tshisekedi et Adam Bombole, ont même retiré leurs candidatures aux sénatoriales pour dénoncer le fait que les députés provinciaux marchandaient leurs voix. À en croire le témoignage de Vidiye Tshimanga, le député le moins cher se vendait à 25 000$ et le plus cher pouvait aller jusqu’à 50 000$. Le premier à s’indigner face à ces accusations fut… Félix Tshisekedi. Au cours d'une réunion interinstitutionnelle tenue le 18 mars, Félix Tshisekedi avait décidé de suspendre l'installation des sénateurs et surseoir l'élection des gouverneurs, en attendant que le procureur général près la cour de cassation diligente une enquête contre les corrupteurs et les corrompus.
10 jours après cette décision de suspension, un communiqué de la présidence de la République qui annonce la levée de cette mesure est lu sur les antennes de la télévision nationale. Le communiqué explique que sur base du pré-rapport déposé par le procureur général près la cour de cassation, le Président estime que « plus rien ne s’oppose à l’installation du Sénat ».
C’est à l’occasion de ce scandale que Félix Tshisekedi émet pour la première fois le vœu de voir le mode de désignation des gouverneurs être modifié. Alors qu’il s’exprime devant la presse en Namibie, le Président Tshisekedi déclare que « l'une de premières choses que j'inviterais la classe politique à faire, c'est de réfléchir sur ce mode d'élections de gouverneurs de provinces et sénateurs. C'est ce mode d'élections qui est à la base de la corruption. Donc il faut réfléchir sur la manière de le changer et de donner au peuple le droit de choisir directement ses élus ».
Au lieu d’un suffrage indirect, Félix Tshisekedi propose que les gouverneurs soient directement élus par la population. Cette option, va, selon le Chef de l'État congolais, permettre aux gouverneurs d'être « investis de toute la légitimité nécessaire pour s'atteler à la tâche de développement de leurs entités ». Bien évidemment, le Président s’attend également à ce que ce recours au suffrage direct puisse également éviter aux députés provinciaux de tomber dans la tentation de monnayer leurs voix et ainsi se concentrer sur leurs autres assignations constitutionnelles, notamment le contrôle des gouvernements provinciaux ainsi que des services publics provinciaux et locaux. (article 197 de la constitution).